D’ici à 2050, la production alimentaire devra augmenter de 60% pour nourrir une population mondiale d’environ 9 milliards d’habitants. Un défi immense d’autant plus difficile à atteindre dans un contexte de réchauffement climatique qui perturbe nos écosystèmes, les rendements agricoles et favorise la prolifération d’espèces d’insectes ravageurs. Pour faire face, la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter les impacts de ce réchauffement et l’adaptation en trouvant des solutions adéquates, sont les deux faces d’une même pièce. Mais comment repousser ces espèces nuisibles sans utiliser de produits agrochimiques qui contribuent encore un peu plus à alimenter la problématique ?
Depuis près d’un an, une équipe d’étudiants de l’INSA Lyon et de l’Université Lyon 1 travaille à mettre au point un patch de cellulose adhésif et coloré à partir de micro-organismes. Biosourcé et biodégradable, ce piège à insectes pourrait être utile dans les rayons de vrac alimentaire. La solution, prometteuse, a remporté une médaille d'or lors de l’édition 2024 du concours international de biologie de synthèse, l’iGEM(1).
Les espèces nuisibles en pleine croissance
Le constat est sans appel: en Europe comme ailleurs, depuis quelque décennies, l’effondrement des populations d’insectes est vertigineux. Dans certaines zones du globe comme en Allemagne, le déclin atteint près de 80% pour la biomasse d’insectes volants entre 1989 et 2016 selon une étude(2) publiée en 2017. Dans le même temps, d’autres espèces nuisibles sont quant à elles en pleine croissance. Une prolifération favorisée par le réchauffement climatique avec des effets importants sur les rendements agricoles. Selon cette même étude, le rendement global des cultures de blé, de maïs et de riz devrait diminuer de 10 % à 25% pour chaque degré supplémentaire de réchauffement en raison des pertes causées par les insectes nuisibles. Pour faire face à cette problématique de taille, une urgence, réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter les impacts de ce réchauffement climatique mais il est aussi nécessaire de s’adapter et trouver des nouvelles solutions pour éliminer ces nuisibles tout en protégeant les autres espèces dont celles menacées d’extinction et les pollinisateurs primordiales pour l’équilibre de nos écosystèmes.
Ce piège serait très utile dans les rayons vrac des supermarchés et marchés BIO qui sont la cible de nombreux insectes comme les mites, entraînant beaucoup de gaspillage. (Crédits : AdobeStock)
Une solution sans produits chimiques
Plus aucun produit chimique : c’est ce que propose le dispositif BIO Snare, du même nom que l’équipe constituée il y a un an et composée de 16 étudiants de l’INSA Lyon et de l’Université Lyon 1. « C’est un patch collant et coloré, 100 % bio-basé, biodégradable et respectueux de l'environnement », comme l’indique son slogan. Comment ? En laissant la nature faire son travail ou presque : « On associe une bactérie qui produit naturellement de la cellulose en grande quantité et une levure génétiquement modifiée pour modifier cette cellulose et ainsi fabriquer un papier gluant capable de sélectionner les insectes », explique Marion Fiorucci.
D'abord une utilisation domestique
Au début du projet l’équipe embrasse un objectif ambitieux qui répond à une problématique locale : limiter la prolifération du moucheron asiatique ou drosophile du cerisier (Drosophila suzukii), un ravageur apparu en 2009 en France. Ce moucheron est redoutable en particulier pour les framboises et les cerises dont le bassin lyonnais et reconnu comme le premier producteur. Selon les chiffres de l’AOP « Cerises de France » qui fédère plus de 600 producteurs français de cerises, la production des adhérents en 2023 a ainsi chuté de 35% par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. « Placé directement sur les arbres, le patch attirera des insectes ciblés en fonction de sa couleur spécifique. Et il est complètement biodégradable, ce qui signifie qu'il se décompose naturellement sans laisser de résidus nocifs dans l'environnement », indique l’équipe à son lancement. « Nous avons finalement dû revoir notre projet car il nous manquait un moyen de rendre notre piège sélectif pour que ce patch une fois installé n’attire que les insectes nuisibles. Aujourd’hui on se concentre davantage sur la thématique domestique (magasins alimentaires) qu’agricole. Ce piège serait très utile dans les rayons vrac des supermarchés et marchés BIO qui sont la cible de nombreux insectes comme les mites ce qui entraîne beaucoup de gaspillage », détaille Marion Fiorucci.
L’équipe BIO Snare. Composée d’étudiants du département Biosciences de l’INSA Lyon et de l’Université Lyon 1, en biochimie et biotechnologie, en bioinformatique et modélisation, mais aussi en microbiologie, cancérologie, ingénierie de la santé, santé publique et biologie moléculaire et cellulaire. (Crédits : Graines d’image)
Une preuve de concept prometteuse
« Nous sommes très fiers d’avoir pu établir les preuves de notre concept et de présenter nos travaux lors de l’iGEM qui est un concours de renommée internationale. C’est la concrétisation d’un an de travail que nous avons réalisé en plus de mener nos études, nous avons tout géré de A à Z, l’administratif, le financier, la communication, les liens avec les partenaires. C’est une expérience scientifique et humaine très enrichissante », insiste Marion Fiorucci. Accompagnée par le laboratoire MAP (microbiologie, adaptation et pathogène) et soutenue financièrement notamment par la Fondation INSA de Lyon et la société bioMérieux, l’équipe attend avec impatience ce moment : « gagner nous ouvrira forcément des portes mais nous verrons après la finale si l’idée de monter une startup est viable et si des débouchées industrielles sont possibles. Il reste encore du travail et de la recherche mais on a déjà pris contact avec des entreprises qui sont intéressées », conclut Marion Fiorucci.
(1) International Genetically Engineered Machine
(2) More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. Plos One - 2017