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La méduse, ce plancton qui a beaucoup de choses à nous dire

Souvent perçues comme des créatures inquiétantes, les méduses fascinent autant qu’elles dérangent. Pourtant, pour Clément Turco, élève-ingénieur en 4e année de biosciences à l’INSA Lyon, ces êtres marins représentent bien plus qu’un danger potentiel. Passionné depuis l’adolescence par ces organismes millénaires, il voit en elles une opportunité d’explorer l’altérité et de questionner notre rapport au vivant. De ses premières expériences scientifiques au lycée à son projet de film-documentaire, il nous invite à porter un nouveau regard sur ces mystérieux animaux, capables de prospérer dans des océans bouleversés par les activités humaines et le changement climatique.

 

Les méduses : des êtres redoutés qui fascinent

La méduse a mauvaise presse : piqûres parfois mortelles, invasions sur les plages, perturbatrices des infrastructures de haut technologie ou annihilatrices de production aquacole… Largement perçues comme des créatures indésirables ou dangereuses, les méduses peuplent les océans depuis des centaines de millions d’années. Dépourvues de cœur, de cerveau et d’os, ces être appartenant à la famille du plancton sont constitués d’une ombrelle et des filaments, qui leur permettent de se déplacer verticalement, portées par les courants marins. « Leur symétrie radiale les distinguent des êtres vivants bilatéraux, comme les humains. L’organisme d’une méduse est vraiment fascinant : sans système nerveux central, elle peut tout de même compter sur un réseau neuronal qui lui permet de capter la lumière, sentir et se déplacer dans l’eau », explique Clément Turco.

 

Des créatures qui tirent parti du dérèglement climatique et de la disparition des espèces

Alors que les activités humaines font peser de graves conséquences sur la biodiversité marine et le climat, les méduses font partie des rares animaux marins à prospérer. Depuis plusieurs décennies, on observe une augmentation de leur nombre, aussi bien en France qu’à l’autre bout du monde. Et cette prolifération inquiète : selon un article publié par la Fondation de la Mer, « l’Homme offre aux méduses, un océan propice à leur prolifération ». En cause notamment : la disparition de leurs prédateurs naturels, les poissons, et la pollution des eaux par des engrais qui favorisent les algues et le développement du phyto- et du zooplancton. Dans la chaîne alimentaire et les océans, chaque organisme a sa place dans l’assiette d’un autre. Ainsi perturbée, la logique naturelle voit la population de méduses augmenter, une prolifération qui alerte sur les états de mauvaise santé de nos océans.

 


aurelia aurita, ou la méduse commune (Crédits : Unsplash)

aurelia aurita, ou la méduse commune (Crédits : Unsplash)

 

Porter un autre regard sur la méduse 

C’est à l’occasion d’une journée de voile avec son père que Clément Turco se fascine pour la méduse. Depuis son dériveur, il observe un banc d’aurelia aurita, la méduse commune, qui remonte deux fois par jour à la surface l’été, pour se reproduire. « Face à ce banc, je me suis demandé crédulement : avec toute cette gélatine, ne pourrait-on pas faire des bonbons ? ». Alors âgé de 15 ans, Clément Turco a cherché à répondre à cette question lors de ses Travaux Personnels Encadrés (TPE), au lycée. « Sans grande surprise, nous n’avons pas réussi à extraire une gélatine assez pure pour en faire des bonbons… Mais cette expérience a scellé ma passion pour ces animaux », explique l’élève-ingénieur en biosciences. Pendant plusieurs années, il s’en passionne et ira jusqu’à rencontrer Jacqueline Goy, ichtyologue française et spécialiste mondiale des méduses. Et il nourrit ainsi l’ambition de réaliser un documentaire. « Aujourd’hui, plus que d’un film documentaire, les méduses sont devenues un prétexte pour parler d’autre chose : ce qui m’a toujours frappé avec elles, c’est leur incroyable différence d’environnement, de morphologie et de physiologie avec nous, humains. Parler des méduses, c’est parler d’altérité et même, d’aliénité. À force de les observer, j’ai compris qu’il ne serait jamais possible d’entrer en empathie avec ces êtres, ni de créer un langage commun. Et de toute façon, le langage est un pont imparfait entre deux individus qui se ressemblent. Ici, nous avons une forme de vie qui s’éloigne complètement de l’humanité, et c’est là que c’est intéressant de la questionner, car elle est radicalement différente. »

 

L’altérité : une réflexion au-delà de la biologie

Passionné de littérature, Clément Turco s’est aussi intéressé à l’approche narrative des documentaires « classiques ». « Un des défauts que l’on peut facilement reprocher aux documentaires, c’est leur tendance à l’anthropomorphisme. On plaque des comportements humains sur des animaux, ce qui en font des films certes très sympathiques à visionner, mais qui à mon sens ratent l’objectif principal de ce qu’ils devraient véhiculer. À savoir : s’intéresser à d’autres formes de vies que la nôtre pour sortir de l’anthropocentrisme ».

Ainsi, pour créer un autre récit, il s’entoure d’amis spécialistes en cinéma expérimental et jette les premières pierres de son projet de film-documentaire. « Il conviendra de les filmer en utilisant un langage cinématographique nouveau, pour représenter cette altérité. Je souhaite que cette proposition offre au spectateur un questionnement de notre rapport au monde, pour élargir nos conceptions, héritées de notre biologie et de notre culture. À défaut de savoir un jour ce que ressentent d’autres êtres que nous, au moins pourrions-nous ressentir un peu plus grand le monde », conclut l’étudiant qui espère concrétiser son projet cinématographique avant la fin de ses études.

 

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