Jusqu’où peuvent s’infiltrer les molécules pharmaceutiques des médicaments que nous ingérons ? Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics et la communauté scientifique s’interrogent sur la présence de résidus de médicaments dans l’eau et, a fortiori, dans les nappes souterraines. Au sein du laboratoire DEEP, Noémie Pernin, ingénieure et doctorante, travaille sur le sujet avec deux laboratoires INRAE de Versailles-Grignon et Narbonne(1).
À travers le projet Télesphore, un nom tout indiqué(2) pour une étude qui se consacre à évaluer la contamination des sols par des résidus de médicaments et de biocides, Noémie étudie le parcours de ces polluants. Depuis deux ans, elle observe leur mobilité vers les nappes phréatiques à travers l’épandage agricole de boues urbaines et de lisiers. Jusqu’alors, ils restent présents à l’état de traces dans les sols. Explications.
Pour amender les terres agricoles, il n’est pas rare que les boues urbaines, résultant du traitement des eaux usées, soient utilisées. Riches en matières organiques, en azote et en phosphore, elles représentent une source de fertilisant pour les sols appauvris, évitant ou réduisant l’usage d’engrais chimiques. « Au même titre que le lisier, l’épandage agricole avec des boues urbaines est une solution souvent utilisée localement et peu coûteuse. Seulement, ces deux sources de nutriments peuvent contenir des résidus pharmaceutiques et des biocides », annonce Noémie Pernin. La pratique de l’épandage est fortement réglementée en France : les boues provenant des stations d’épuration doivent répondre à des critères bactériologiques et de contamination précis, comme l’absence de certains métaux lourds ou polluants organiques. Néanmoins, aucune réglementation concernant les résidus pharmaceutiques et les biocides n’est actuellement en vigueur. « Mon travail de thèse s’applique à étudier le comportement de ces molécules dans le sol, pour savoir si, lorsque l’on épand ces boues et lisiers, il existe un potentiel transfert vers les nappes phréatiques. »
Noémie Pernin s'applique à étudier le comportement des molécules pharmaceutiques et des biocides dans le sol.
Comment les molécules pharmaceutiques et les biocides s’immiscent-ils donc dans les sols ? « Que ce soit pour le lisier ou les boues, la présence de ces molécules résulte de l’activité humaine. Pour les médicaments, nous en consommons nous-mêmes et en administrons régulièrement aux animaux d’élevage. Pour les biocides, ce sont des molécules présentes dans les produits d’entretien de la vie quotidienne comme les fongicides par exemple. Toutes ces molécules sont finalement acheminées vers les stations d’épuration, par les systèmes de collecte des eaux usées, ou directement dans le lisier dans les élevages. Seulement, les stations d’épuration n’ont pas été conçues pour traiter ce genre de pollution. » La doctorante rassure : « Les boues et les lisiers autorisés pour l’épandage ne présentent bien sûr pas de risques bactériens. Il s’agit surtout de s’intéresser aux risques environnementaux, et des études sur les impacts directs et indirects sont encore en cours. »
Pour réaliser ses expérimentations, Noémie Pernin dispose d’un terrain expérimental en Haute-Savoie mis à disposition par le Syndicat des Eaux des Rocailles et de Bellecombe. Un territoire « privilégié » puisqu’il accueille principalement des vaches laitières dont le lait est utilisé pour fabriquer des fromages Reblochon ; une appellation protégée qui contraint les producteurs à éviter certains pharmaceutiques et biocides. « La première étape a été de rencontrer les éleveurs pour comprendre leurs pratiques d’épandage. On les a ensuite reproduites selon les mêmes conditions calendaires et de doses d’apport. Nous avons principalement suivi des molécules d’antibiotiques, d’antiparasitaires, quelques fongicides et désinfectants ». Pendant ses deux premières années de travaux, la doctorante a prélevé ses échantillons de sols et d’eaux, jusqu’aux premiers résultats. « Pour l’instant, nous n’avons retrouvé que de très faibles concentrations, des niveaux très proches des limites analytiques. Les molécules restent dans les couches de surface du sol et sont peu mobilisées vers des horizons plus profonds. »
Pour réaliser ses expérimentations, Noémie Pernin dispose d’un terrain expérimental en Haute-Savoie.
Si la migration de ces polluants vers les couches profondes des sols semble limitée, il n’en convient pas moins de rester prudent. « Ces premiers résultats ne suffisent pas à tirer des conclusions à long terme car il y a énormément de processus en jeu dans le devenir de ces molécules. L’enjeu suivant est de comprendre s’il y a, même à l’état de traces, des impacts, notamment en cas d’accumulation de ces résidus polluants. Il existe des impacts certains sur les écosystèmes aquatiques et des phénomènes de résistance. Certaines bactéries deviennent plus résistantes aux antibiotiques par exemple. Ce sont des effets indirects qui pourraient devenir à terme un danger pour la santé humaine. »Et lorsque l’on interroge la doctorante sur les possibilités de limiter les intrants pharmaceutiques et biocides dans les nappes phréatiques, elle répond : « À l’échelle du citoyen, il conviendrait d’adopter des réflexes simples, comme ramener les médicaments inutilisés en pharmacies ou privilégier les nettoyants naturels aux produits synthétiques. »
(1) La thèse de Noémie Pernin est financée par l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse et par l’EUR H2O’Lyon.
(2) Dans la mythologie, Télesphore, troisième fils d’Asclépios dieu de la médecine, est le dieu de la convalescence.