Ce n’est pas un brouillard comme les autres. Derrière ses apparences de terme original, celui que l’on surnomme « smog » n’a rien de positif, bien au contraire. Inodore, il trotte au-dessus de nos têtes tel un cocktail dangereux, un mélange toxique de gaz et de particules fines en suspension. Un fléau de santé publique qui touche régulièrement les mégalopoles européennes. Dans le collimateur de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ces particules qui tuent prématurément plusieurs millions de personnes chaque année dans le monde. À la source de ces polluants : l'industrie, les transports ou encore le chauffage, au bois notamment.
Avec la mise en place de nouvelles lois portées sur ces secteurs, la qualité de l’air en Europe s’est progressivement améliorée ces dernières années. Concernant le secteur des transports, un nouveau type de pollution, encore peu étudiée, préoccupe de plus en plus : celle générée par l’abrasion des freins des véhicules. Au sein du Laboratoire de Mécanique des Contacts et des Structures, le LaMCoS (1), la problématique est prise à bras de corps depuis plusieurs années.
Selon une étude publiée en 2022 par la revue médicale britannique « The Lancet Planetary Health », la pollution de l’air extérieur entraînerait chaque année dans le monde 4.2 millions de décès prématurés. En cause l’industrie, le chauffage au bois mais également le transport. Dans l’Union européenne, en 2021, on comptait près de 250 millions de véhicules particuliers (+6,5% par rapport à 2017) et près de 30 millions de « véhicules utilitaires » (8.6% par rapport à 2017) en circulation. Un trafic routier qui génère une importante pollution aux particules fines. Paradoxalement, la pollution de l’air générée par les échappements de ces véhicules a globalement baissé ces dernières années, à l’échelle de l’Union européenne, notamment sous la pression réglementaire et grâce à la généralisation des filtres à particules (FAP) devenus obligatoires depuis 2011 sur les moteurs Diesel neufs. Désormais c’est une autre problématique qui préoccupe les autorités sanitaires comme les scientifiques : la pollution hors échappement (PHE).
En raison de leurs teneurs en éléments métalliques comme le cuivre, le baryum, le zinc ou le fer, la pollution liée à l’abrasion des pneus, des freins et à la détérioration des chaussées, a un effet néfaste sur la santé. En 2022, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) tire ainsi la sonnette d’alarme dans un rapport : « Les PHE représentent plus de la moitié des particules émises par les transports routiers. Cette tendance va s'accentuer et les émissions globales de particules ne baisseront plus si aucune réglementation sur les émissions de particules de freins ou de pneus n'est mise en place ». Un constat alarmant sur lequel travaille depuis plusieurs années le LaMCoS. « Pendant longtemps, les recherches se sont concentrées sur les échappements des véhicules et l'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère qui contribuent au réchauffement climatique. Ensuite, on a prêté attention à la pollution de l'air par les particules fines. Il faut bien comprendre qu'aucun filtre n’arrête toutes les particules notamment les particules nanométriques. Or ce sont les plus dangereuses pour la santé », explique Ana-Maria Trunfio-Sfarghiu, chercheuse, spécialiste en bioingénierie au LaMCoS.
« Aucun filtre n’arrête toutes les particules notamment les particules nanométriques (...) Or, ce sont les plus dangereuses pour la santé. »
Freiner tue ?
Depuis une bonne dizaine d’année, ce laboratoire de l’INSA Lyon étudie en particulier les liens entre amélioration de l’efficacité du freinage avec l’utilisation de nouveaux matériaux et conséquences en matière de rejets de nanoparticules dans l’atmosphère.
En 2015, dans une thèse (2) portant sur le sujet, le chercheur Bogdan Munteanu soulève ce paradoxe : « Paradoxalement, la sécurité routière est assurée entre autres par la production de particules d’usure. Ainsi, près de 20 000 tonnes de garnitures de frein sont usées par an en France, dont 9 000 tonnes sous forme de particules d’usure aéroportées. Ces particules posent des problèmes de santé car leur composition chimique et leur morphologie font qu’elles interagissent avec la paroi alvéolaire des poumons, entraînant des pathologies ». Constituée de petites cavités, cette paroi facilite les échanges gazeux avec le sang, un phénomène indispensable à la respiration.
Autre spécialité du LaMCoS : le développement d’un « modèle de parois alvéolaires » capable de reproduire les sollicitations mécaniques pendant les cycles respiratoires et la manière dont les particules peuvent l’affecter. Alice Mirailler, doctorante au laboratoire, connaît bien ces modèles. Elle détaille la manière dont les particules liées au freinage peuvent affecter notre appareil respiratoire : « Les particules de freinage inférieures à 1 micromètre (composées majoritairement de fer, de soufre, cuivre, baryum et zinc) sont les plus dangereuses pour la santé ». Dans son étude réalisée dans le cadre d’une chaire industrielle INSA-Volvo, elle indique : « Nous avons collecté des particules directement sur notre modèle de parois alvéolaires en mimant la respiration humaine pendant deux heures a coté d'un frein en fonctionnement. Aucune toxicité directe des particules de freinage étudiées sur les cellules n’a pu être observée. Cependant, des modifications apportées par les particules de freinage sur le surfactant pulmonaire et les cellules ont pu être identifiées. Cela montre une toxicité indirecte de ces particules ».
Une toxicité pouvant entraîner des « pathologies chroniques comme la fibrose pulmonaire », précise Ana-Maria Trunfio-Sfarghiu. « C’est un processus très lent. C’est l’accumulation de petites quantités quotidiennes qui devient néfaste », insiste Ana-Maria Trunfio-Sfarghiu. « On ne connaît pas encore assez bien l’enchaînement causes-conséquences. C’est un enjeu de recherche au LaMCoS ». Un enjeu crucial également pour Alice Mirailler qui devra dans le cadre de sa thèse approfondir les connaissances sur ces perturbations directes et indirectes.
« C’est un processus très lent. C’est l’accumulation de petites quantités quotidiennes qui devient néfaste. »
De nouvelles normes pour limiter la pollution liée au freinage
En attendant de nouveaux résultats plus probants, cette problématique de la pollution de l’air liée au freinage reste un sujet préoccupant pour les autorités sanitaires et les instances politiques qui souhaitent légiférer en la matière.
La nouvelle norme « Euro 7 » destinée à réduire les émissions polluantes des véhicules, entrera en vigueur au 1er juillet 2025 pour les véhicules légers et à partir du 1er juillet 2027 pour les véhicules lourds. Elle introduit ainsi pour la première fois des réglementations sur les émissions de poussières de frein. La norme fixe des limites strictes sur les émissions de particules très fines (PM10) liées au freinage, avec des seuils allant de 3 mg/km pour les véhicules électriques à 11 mg/km pour certains véhicules utilitaires légers thermiques.
En 2015, l’Observatoire de la qualité de l’air en Île-de-France donnait l'ordre de grandeur suivant : 30 mg/km de particules émises par le freinage contre pour 4 à 5 mg/km issues de l’échappement des moteurs à essence ou Diesel et ce avant la généralisation des filtres à particules. Un rapport qui représente un défi technique et économique pour les constructeurs.
D’ores et déjà, les principaux concernés ont réagi en tentant d’adopter un traitement au carbure de tungstène sur les disques. Mais cette solution est-elle durable ? La norme « Euro 7 » requiert que les freins doivent pouvoir respecter un seuil limite pendant 200 000 km et 10 ans. « Le respect de ces seuils est une question très complexe », commente Ana-Maria Trunfio-Sfarghiu. « Il est difficile d’estimer de manière réaliste le nombre d'émissions de particules fines liées au freinage en mg/km tant cela dépend du type de véhicule, du style de conduite et de l’environnement géographique et météorologique. C’est pour cela que nous poursuivons nos travaux afin de mieux comprendre ces aspects ».
Le trafic en question
Travailler sur la composition des matériaux qui permettent le freinage, capter directement les particules au niveau des roues, réduire la masse des véhicules ou encore réduire leur vitesse. Nombre de solutions sont aujourd’hui sur la table pour parer à cette problématique de santé publique. Aucune n’est magique. Même les véhicules électriques aujourd’hui en plein essor qui n’émettent aucune particule à l’échappement émettent des particules à d’autres niveaux. Et si l’on réduisait tout simplement le trafic ? En France, 60% des déplacements domicile-travail se font en voiture, la plupart du temps pour des trajets de courte distance : lorsque la distance est comprise entre 1 et 2 km, la voiture convainc 56% des personnes. Entre 2 et 3 km, c'est encore 63%(3). Fin 2023, 83,8% des conducteurs empruntant l’autoroute autour des grandes métropoles circulaient seuls dans leur voiture le matin aux heures de point (4). Des marges de manœuvre qui laissent une grande place aux solutions alternatives : co-voiturage, transport en commun, vélo ou marche à pied sont des clés à actionner pour les citoyens qui souhaitent participer à réduire les impacts de cette pollution au quotidien.
Le LaMCoS est une unité mixte de recherche de l’INSA Lyon et du CNRS
« Actions de particules d’usure aéroportées sur les propriétés mécaniques et physicochimiques des « films » de surfactant pulmonaire : Conséquences sur la conception de particules tribo-bio-compatibles ». Bogdan Munteanu - 2015
« La voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile-travail, même pour de courtes distances », Chantal Brutel, Jeanne Pages Insee (Janvier 2021)
« 5e édition du baromètre de l'autosolisme », Vinci Autoroutes (janvier 2024).